.Qui a dit St Valentin ?.

« Peut-être que nos blessures nous apprennent des choses, elles nous rappellent d'où on vient et ce qu'on a surmonté, elles nous apprennent ce que l'on doit éviter à l'avenir. C'est ce que'on aime penser, mais ça ne se passe pas toujours comme ça. Il y a certaines choses que l'on doit apprendre et réapprendre encore. »
« Dans le genre journée pourrie, je vous recommande la Saint Valentin. Fête des amoureux, tu parles ; fête des blaireaux, oui ! « Il y a des tas de choses à faire quand on est en couple, Taylor ! » me disait-on tout le temps, tandis que je défendais mes idées du genre « le célibat, saylemieux ! ». Pourquoi toutes les filles de mon âge cherchaient-elles l'amour à tout bout de champ ? Aucune de les connaissances ne voulait se faire à l'idée que le Prince Charmant, ben il existe pas. Étais-je le seul être doté d'un minimum de maturité de ce côté là ; moi, la pire des gamines que la Terre n'ait jamais connu ? Wah, la blague.
Il était aux environs de midi quand je suis arrivée chez mes grands parents, après avoir fait quelques courses pour eux. Ma grand-mère m'avait répété de profiter de ma journée, mais profiter en quoi ? J'avais pas de petit copain ; j'en voulais pas. N'était-ce donc pas assez clair à son goût ? La Saint Valentin, c'est pas pour moi. Niaiserie, guimauve et tout ce qui va avec... non merci, j'ai déjà donné.
Alors au lieu de faire comme tout le monde, c'est-à-dire se balader dans la rue main dans la main, ben je fis ce qu'on faisait pendant les vacances d'hiver. Je partis skier. Enfin je pris un hélicoptère qui me mena sur l'un des nombreux sommets praticables du Japon, snowboard sous le bras.
Dévaler les pentes faisait passer les temps. Non, vraiment, c'est largement mieux que de glander dans des restaurants en face d'un gars qui vous regarde façon « ce soir je te mets dans mon lit ». Non, là tu te retrouves avec des adeptes de l'extrême, tu sais qu'ils sont là parce que leur amour pour le sport est plus fort que le désir de se faire une fille qu'ils reverront jamais. Tu te sens bien, quoi.
C'est donc en compagnie d'une bande de garçons que mon après-midi se déroula. Car ouais, les nanas préfèrent rester au chaud avec leurs amoureux, et les mecs sont, sur ce coup, bien plus courageux.
Alors après m'être bien défoulée dans les snow parcs, avoir bouffé de la neige comme personne et avoir essuyé une cinquantaine de gamelles bien douloureuses, je dus quitter les montagnes pour retrouver ma baignoire. Bah, vu sa taille, je n'avais vraiment pas à me plaindre.
Occupée à lire des magazines people, je ne vis pas vraiment le temps passer pendant que mon corps trempait dans l'eau brûlantes. Toujours était-il que lorsque je sortis du bain, il était à peine 18 heures.
Il était bien trop tôt pour que je puisse songer à dîner, alors après m'être habillée à la va-vite –une New-Yorkaise, même habillée vite fait, portait ses vêtements avec classe– je m'équipais de mon téléphone et donnai rendez-vous à une bande de potes dans un bar du coin. Ben quoi, vous me voyez improviser une sortie lorsque je serais sur place ? Foutez-vous de ma gueule, c'est ça.
Une vingtaine de minutes plus tard, on se retrouva autour d'une table, avec une douzaine de canettes de bières et trois bouteilles de vodka. Hum, la soirée promettait d'être longue... Mettez-moi de l'alcool sur une table et je ne pouvais résister à l'appel qu'il me lançait ce sale crevard ! Un verre, deux verres, trois verres... j'arrêtai de compter à partir du cinquième et commençai déjà à sortir des conneries dix fois plus grosses que moi. Wah la vache, je suis pas encore tout à fait bourrée mais j'ai déjà envie de dégueuler.
▬ Oh my God... s'cusez moi, j'vais prendre l'air, déclarais-je en me levant de mon siège.
▬ Azy Taylor, t'es une tapette !
▬ Et mon poing dans ta gueule, tu sais ce qu'il te dis ?
Éclat de rires dans la salle et une Tay' qui titube jusqu'à l'entrée du bar. Là, on est bien loin des lumières aveuglantes de la capitale, bien qu'on soit dans un quartier situé en plein cœur de Tokyo. Je chechai un endroit où personne ne viendrait me déranger et trouvai finalement une ruelle déserte entre... un autre bar et un club d'hôtes.
Alors que je croyais être toute seule, j'entendis de petits bruits plutôt dérangeants et levai les yeux pour me retrouver en face de deux mecs appuyés contre le mur, occupés à faire des choses non approuvées par l'Eglise. Euh les mecs, y'a des hôtels pour ça, hein ! Pour leur faire comprendre mon indignation, j'émis un léger raclement de gorge –ça passait mal avec tout cet alcool qui me brûlait l'œsophage– suivi d'un haussement de sourcils. Les deux se stoppèrent net et après quelques instants, l'un décampa vite fait, et l'autre mis plus de temps à partie, mais le fit quand même non sans m'avoir transmis un murmure chargé de haine, auquel j'aurais pu répondre si ma gorge ne m'était pas aussi douloureuse.
▬ Merci d'avoir gâché ma soirée...
Ben écoute,
de rien. T'avais qu'à faire tes cochonneries en privé, qu'est ce que tu veux que je te dise ? Les gens de nos jours, vraiment. Enfin je dis ça, je suis assez mal placée pour parler.
Après cinq minutes à respirer l'air frais, je retournai dans le bar. Fini l'alcool pour aujourd'hui, Taylor. Tu supportes pas bien et en plus, tu bousilles ta voix. Mais qu'est ce que j'en ai à foutre, ma voix elle changera plus jamais ! AngelVox power j'ai envie de dire, aujourd'hui. Je m'adossai contre le mur et inspirai un bon coup. Allez Taylor... la soirée est pas encore finie...
Lorsque je rouvris les yeux –car je m'étais vraisemblablement assoupie– le décor n'avait pas changé d'un poil mais j'avais la peau toute froide. C'est là que je me rendis compte que j'avais passé ma journée de Saint Valentin avec des sportifs, puis des fêtards, mais que finalement, je pouvais dire
toute seule. Ben oui, normalement c'est en couple que tu fêtes cette journée, pas avec des gens que tu reverras pas ! Putain Taylor, qu'est ce qu'on va faire de toi... ?
Je jetai un coup d'œil sur mon portable. 14 appels en absence, 10 messages sur la boite vocale et 12 SMS. Ils sont tarés les gens ou quoi ? Ça fait à peine vingt minutes que je suis sortie ! Les 10 messages de la boite vocale n'étaient rien d'autres que des hurlements d'ados complètement pétés, qui me demandaient si ça allait. OK, d'accord. La plupart des SMS venaient des filles restées à New-York qui me disaient qu'elles auraient des tas de trucs à me raconter d'ici mon retour, les autres venaient encore de ces bourrés et un venait de mon frère, qui ne « rentrerait pas avant deux heures ». Pigé.
Compte rendu fini, je pus enfin retourner au bar où des cris de joie résonnaient comme pas possible. Mal au crâne, impossible de retourner les voir. Bah, avec un peu de chance ils ne s'apercevaient pas de ma non-présence.
Alors je déambulais dans les rues mal famées de Tokyo, à la recherche d'un bar tranquille ou je pourrais siroter une boisson innocente, style Diabolo Cassis ou Coca-Cola. Enfin je dis ça, je suis sûre qu'arrivée là-bas, je me retrouverais avec un verre de bière ou un délire dans le genre. Ce fut au bout d'un petit quart d'heure que je décidai de pousser la porte d'un bar inconnu, et constatai avec surprise qu'il ne devait y avoir qu'une demi-douzaine de personnes installées. Dans le genre bar pour dépressifs, celui là devait se trouver dans les cinq premiers...
Tous se retournèrent. La plupart des clients avaient le nez rouge, les yeux exorbités et une tête de poivrot. Sauf peut-être un ou deux... dont le dégueulasse qui triporte ses congénères dans la rue. J'aurais pas pu mieux tomber, tiens ! Ce gars qui m'avait lancé un regard genre « je-vais-te-tuer » devait être heureux de me voir aussi, tiens ! En bonne emmerdeuse suicidaire que j'étais, ben j'allais rester. Combien parie-t-on que c'est un BlackSong ? Avec une tête pareille, je pourrais miser toute la fortune des Dalloway...
D'un pas léger, je m'approchai du comptoir et m'y installai tranquillement, en demandant innocemment un petit Diabolo Menthe.
▬ Désolé ma jolie, on sert pas de ça chez nous, répondit le barman d'une voix rauque.
▬ Alors un Coca-cola.
▬ Non plus.
▬ Un Sprite ? –hochement de tête négatif– Un Orangina, –encore– Oasis, Pepsi, 7Up ? –nouveaux mouvements de la tête– Et puis ça me fait chier. Je veux une bière.
Ce soir, le monde entier était contre moi, assurément. Ça devrait même pas être permis, bordel. Manquerait plus qu'il me réclame une pièce d'identité. Heureusement, il le fait pas et me pose une pinte de bière pas aussi tendrement que les barmans le font d'habitude, avant de retourner nettoyer ses verres. Inconsciemment, je me mis à fredonner « Stairway to Heaven » tout en tapotant le rythme sur mon siège. Mon voisin de siège pouvait bien dire ce qu'il voulait, je terminerais ma chanson, hein.
»